Stendhal – Rouge et Noir

Pour le lecteur contemporain du XXIe siècle, les classiques français du 19e siècle semblent souvent beaux mais quelque peu dépassés, tout comme une maison civique brillamment construite, magnifique mais quelque peu négligée – avec d’immenses escaliers trop hauts, des couloirs en marbre surdimensionnés, des fenêtres qui ne ferment pas bien et ne protègent pas du climat extérieur – et où l’on peut encore vivre avec style, mais inconfortablement.
Toute cette décoration civique en arrière-plan et cette structure de l’histoire, le bruissement des crinolines, les queues de pie et les cylindres entre les rangées, la hiérarchie sociale, les étiquettes et les cérémonies… Tout ce bon-ton, les idéologies et les luttes de classes, la montée du capitalisme à l’ombre de la révolution… tous ces réalistes ou romantiques – Balzaci, Igoi, Floberi ou Zole – combien plus leur écriture peut-elle faire trembler le cœur et l’âme du lecteur moderne?
Et le célèbre roman Rouge et Noir – Chronique de 1830 de Stendhal, comme les couleurs du titre, est un mélange dans lequel, d’une part, l’histoire classique d’une société, de mœurs et de coutumes qui ne peuvent nous intéresser que depuis l’histoire mais, d’autre part, c’est une brillante analyse psychologique – la recherche de la compréhension des profondeurs de l’âme humaine constamment soumise aux forces de la passion, Émotion, idée, envie…
Stendhal
Stendhal
Henri Bell, qui s’est signé du pseudonyme „Stendhal„, n’était pas un écrivain professionnel, comme Balzac ou Hugo. Il fait sa carrière dans la fonction publique (officier à l’époque de Napoléon, commis et petit diplomate sous la Restauration des Bourbons). Il a commencé à écrire pour son plaisir personnel au cours de ses années de maturité. Il a écrit trois grands romans – Rouge et Noir, Monastère cartésien de Parme, Lucien Lieven – alors qu’il avait déjà une cinquantaine d’années (le dernier de ces trois romans, inachevé, fut publié à titre posthume). Ses œuvres se vendirent mal de son vivant et la plupart de ses écrits furent publiés seulement 40 ans après sa mort (il mourut en 1842).
Inspiré d’un événement réel de la Chronique Noire, le roman Rouge et Noir est centré sur une personne et sa vie : Julien Sorel est un jeune homme issu d’une famille pauvre (le père, que Julien profondément déteste – tout comme Standal – est un menuisier ordinaire de profession) mais dans de nombreuses caractéristiques physiques et psychologiques, il est au-dessus de son environnement. Beau, gros, intelligent au-dessus de la moyenne, doté d’une mémoire exceptionnelle (il sait réciter la Bible en latin ; il lui faut quelques heures pour mémoriser tout le contenu d’un journal), Sorel veut à tout prix la réussite sociale dans une société rigide et hiérarchisée où l’origine et l’argent sont la clé de chaque poste. L’époque de Napoléon est révolue, désespère Sorel, où quelque caporal audacieux et intelligent pouvait devenir maréchal. À son époque, la seule voie possible pour les jeunes hommes pauvres et valides était une carrière dans l’Église. Cependant, il s’est avéré qu’il existe également un raccourci : une relation avec une femme influente. Sorel choisit le rôle d'“un homme habitué à briller devant les femmes“.
Dans le personnage de Julien Sorel Stendhal a construit un type inoubliable de héros qui „veut réussir“, partagé entre ambitions, calculs cachés et élan de passion. Ambitieux, courageux et épris de soi au-delà de toute mesure, Sorel valorise hautement sa propre personnalité (« Je suis un aristocrate dans l’âme ») et tient à la fierté et à l’honneur autant que, d’autre part, il méprise et déteste la société en dont il a essayé de réaliser ses ambitions. En même temps, il est caché et retenu envers l’environnement parce que « le mensonge et l’hypocrisie sont la clé du succès dans la société moderne » et parce qu’« une personne ne doit pas faire confiance à une autre personne ».
Stendhal a été qualifié de « le plus grand psychologue de notre temps » (Ten) et il était donc en quelque sorte le précurseur de Dostoïevski. Mais « la maîtrise poétique de Stendhal se fait surtout sentir dans les moments où il montre et analyse les passions de ses héros » (S. Zweig). Là où il atteint le sommet absolu de son talent littéraire et psychologique, ses romans ne vieilliront jamais – ce sont les descriptions de la psychologie des amours – des scènes de cour et de séduction extraordinairement subtiles montrées à travers la conscience du héros lui-même : l’approche de deux êtres – des premiers pas à l’établissement d’une relation, « cristallisation » d’une relation amoureuse (terme inventé par Stendhal), tableau des hauts et des bas des âmes plongées dans le chaos d’une passion incontrôlée, où – tout en nuances et nuances – le désir, la sympathie, la joie se mêlent à des phases de déception, de répulsion, de peur, voire de haine… Des êtres humains qui ici et là suivent leur destin comme un bateau ballotté tête baissée par les vagues dans une tempête. Anarchie qui se cache quelque part au cœur de la personnalité.
Le roman est divisé en deux parties qui représentent simultanément deux étapes de l’ascension de Sorel et deux environnements sociaux dans la France de 1830 : le premier cadre de son évolution est le riche environnement bourgeois d’une ville de province, la deuxième étape est la capitale – Paris – et haute société aristocratique. Les deux œuvres reposent sur les histoires des deux amours du héros dans lesquelles, conformément à son caractère fougueux et à ses ambitions sans limites, il brise les conventions sociales. Dans le premier cas, il s’agit de la relation de Julien avec Mme Rénal, riche héritière, épouse du maire et mère des enfants à qui il enseigne.
„Depuis que Mme. Rénal n’avait jamais lu de romans, elle ne connaissait même pas toutes les nuances de son bonheur“, Stendhal souligne ironiquement l’influence du roman classique sur l’évolution de la nature sociale et de la manière d’aimer (il énumère ailleurs les titres de certains de ses romans). les romans qui ont créé des modèles de comportement amoureux : « Manon Lesko », « Nouvelle Éloïse », « Lettres d’une religieuse portugaise » et autres).
Évitant un éventuel scandale, Sorel utilise ses relations ecclésiastiques pour quitter la province et, par un concours de circonstances, entre au service du marquis du Mol, dont il parvient à séduire la jeune fille célibataire et héritière. À la fois guidé en parallèle par ses objectifs calculés et le feu de la passion (Stendhal combine magistralement les contraires dans le personnage du héros), le chemin de vie de Sorel traverse des tournants inattendus pour aboutir à une fin romantique et tragique. „Toute sa vie n’a été qu’une longue préparation pour un accident.“
La combinaison du réalisme et du romantisme „Rouge et noir“ est d’un style inhabituel et pour l’époque un roman très original que Stefan Zweig marquera comme „le premier roman expérimental qui combinera plus tard psychologie et littérature“.
Le caractère insolite d’Henri Bell – Stendhal, qui a utilisé divers pseudonymes tout au long de sa vie et aimait les mystifications, s’est manifesté même après sa mort : un faux nom a été inscrit sur le monument posthume selon son souhait : « Arrigo Bailey, de Milan. Il écrivait, aimait, vivait“.
„J’écris pour peut-être 200 lecteurs… Seule la prochaine génération me comprendra – je deviendrai célèbre en 1880, ils me comprendront en 1920“, écrivait le prophétique Stendhal.

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